Chapitre 1
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La serrure lui résista, mais au troisième essai, la clé tourna et le vantail pivota en silence. Justin retint un petit reniflement de mépris. Games Town, le quartier réservé aux athlètes et à leur délégation – surnommé le village –, était flambant neuf, mais les organisateurs avaient joué les radins sur la qualité des finitions : les battants de porte étaient en carton alvéolaire bas de gamme et les serrures à peine dignes de fermer une boîte aux lettres. Ce serait un miracle s’il n’y avait pas de vol dans les chambres.
Pourvu que l’isolation n’ait pas été faite au rabais et que le chauffage tienne le coup, songea-t-il avant de bannir de son esprit ces questions bassement pragmatiques.
Il se faufila dans la pièce sans regarder, vérifiant juste par-dessus son épaule que personne ne l’observait, et referma la porte avec soin. Surpris, il se retrouva plongé dans l’obscurité. Peut-être sa belle lugeuse slovaque en avait-elle eu assez de l’attendre et avait-elle fini par s’endormir ? Justin avait traîné au billard avec ses coéquipiers plus longtemps que prévu. En tout cas, la fille était assez sexy pour qu’il ne renonce pas à profiter de son offre.
— Je suis seule dans ma chambre ce soir, lui avait-elle susurré dans un anglais teinté d’un accent slave charmant, en lui glissant dans la main un double de sa clé.
Il se faisait d’avance une joie de la réveiller de façon torride puis de la baiser d’une manière grandiose. Il fallait qu’il relâche la pression avant le début des épreuves.
Fourrer et rentrer, se promit-il en souriant, songeant que sa mère lui ferait passer un mauvais quart d’heure si elle l’entendait parler de cette façon.
En silence, la moquette courte et rêche étouffant le bruit de ses pas, Justin commença à ôter la tenue officielle aux couleurs de son pays, celle qu’il avait portée avec fierté pour le défilé d’ouverture des World Ice Games – ou les Jeux de glace, en français – mais tout le monde disait les Games.
Cette compétition avait été créée huit ans auparavant, et la troisième édition avait lieu cette année. Elle regroupait exclusivement les sports sur glace. N’importe quelle ville au monde dotée des installations nécessaires – un anneau pour la vitesse, un tube pour la descente et suffisamment de patinoires pour assurer toutes les épreuves – pouvait se porter candidate à leur organisation. Les premiers Jeux de glace s’étaient tenus à… Doha, au Qatar, en plein désert !
Mais aujourd’hui, les athlètes devaient faire face à l’hiver asiatique en altitude : tenue de grand froid obligatoire. Celle de Justin n’avait qu’un seul inconvénient : difficile de passer inaperçu quand on mesure un mètre quatre-vingt-quatorze et qu’on vous affuble d’un pantalon et d’un anorak blanc avec une énorme feuille d’érable rouge dans le dos, sans parler du pull – blanc et rouge caché en dessous –, du bonnet et des gants assortis !
Après la cérémonie officielle au stadium, Justin avait participé au repas organisé par Hockey Canada en présence de toutes les huiles – gonflant, mais ils avaient très bien mangé –, avant de filer faire la fête avec ses coéquipiers. À partir de demain, il leur faudrait être sérieux et concentrés. Mais pour l’instant, il avait bien l’intention de finir cette journée en apothéose.
Ses vêtements atterrirent sur le sol dans un chiffonnement feutré. Il était en train de baisser son caleçon – qu’il avait choisi noir par pur esprit de contradiction –, penché vers l’avant, un étui de préservatif coincé entre les dents, quand le néon du plafond s’alluma, inondant la petite pièce d’une lumière crue et agressive.
Le cri de surprise provenant du lit à sa gauche le fit s’immobiliser.
Putain, je ne suis pas dans la bonne chambre ! réalisa-t-il.
La jeune femme immobile devant lui le fixait, les yeux écarquillés. Elle était superbe, sexy – bandante –, mais ce n’était pas sa lugeuse slovaque. Aucun doute.
Après quelques instants où ils restèrent tous les deux complètement statufiés, la fille s’assit d’un bond dans son lit. Justin s’attendit presque à l’entendre hurler, façon Jamie Lee Curtis dans Halloween. Mais elle demeura silencieuse. De ses immenses yeux bleus, elle le détailla de la tête aux pieds. Ses mèches blondes et bouclées, ébouriffées, encadraient un visage adorable où se lisait une stupéfaction sans nom.
Cette fois, je suis bon, pensa Justin.
Une plainte pour agression sexuelle et il pouvait dire adieu à sa carrière en équipe nationale, mais aussi en ligue. Ni Hockey Canada ni la LNH ne plaisantaient avec ce genre d’affaires.
Il s’écoula encore plusieurs secondes – qui lui parurent des heures – avant que son cerveau ne se reconnecte et qu’il réalise qu’il n’avait pas bougé, son caleçon bloqué aux genoux. Alors qu’il esquivait le début d’un geste pour se rhabiller, la beauté blonde l’interrompit d’une voix douce et calme :
— Soit tu remets tes fringues et tu te barres, soit tu enfiles cette capote et tu me montres de quoi tu es capable.
Justin resta interloqué, figé, le caleçon toujours baissé, l’étui du préservatif entre les dents, le sexe au garde-à-vous.
La jeune femme le fixait droit dans les yeux. Il n’y avait plus de peur ou de surprise dans son regard, mais une ferme résolution. Il n’y eut pas de doute non plus quand elle repoussa les draps, révélant son tout petit slip et le débardeur qui lui servait de chemise de nuit. Le tissu moulant épousait avantageusement une poitrine appétissante qui pointait déjà.
Française, songea Justin à cause de son accent.
Il la vit baisser les yeux pour le détailler de nouveau, sans cacher son intérêt pour ce qu’elle observait, et son sexe fit un bond de joie – à croire qu’il était fier de s’exhiber ainsi !
On reprochait souvent à Justin d’agir sans réfléchir avec les femmes et ce n’était pas encore cette fois qu’il allait s’amender. L’occasion était trop belle, la fille aussi. Elle était magnifique, consentante, et la proposition était trop alléchante pour qu’il y résiste ce soir.
Il éjecta son caleçon – avec une désinvolture qu’il était loin d’éprouver –, et déchira avec une lenteur étudiée l’étui du préservatif. Dans ses yeux bleus, il voyait à présent le désir briller sans ambiguïté. Pendant qu’il se couvrait, elle tendit la main pour allumer la lampe de chevet et éteindre le plafonnier – trop agressif.
— Déshabille-toi, demanda-t-il. Qu’on soit à égalité.

