Frères ennemis ? #1

Rencontrer mes héros !

Extrait

Prologue

Enchaînant à la perfection les figures au milieu de la piste de danse installée dans le jardin de leurs parents, Adrien surveillait son frère aîné du coin de l’œil.

Depuis son arrivée, Alexandre se montrait maussade et distant. Pendant le dîner en l’honneur des soixante-quinze ans de leur grand-père, il avait à peine desserré les dents, éludant toutes les questions concernant sa vie ou son métier de journaliste, évitant de participer aux conversations.

Autre signe de mauvaise humeur : alors qu’il avait toujours été le photographe de leurs réunions familiales, il n’avait pas daigné sortir son appareil de son sac.

Après le café, Adrien l’avait vu se réfugier dans l’ombre des arbres, silhouette sombre, massive et énigmatique, presque inquiétante. D’ailleurs, s’il continuait à jouer les ours grognons, leur mère allait lui tomber dessus et cela allait encore dégénérer.

Il ne tenait pas à ce que la fête soit gâchée par le conflit qui opposait son frère à leur mère. Il souhaitait de tout son cœur que la soirée se déroule bien, surtout après les problèmes cardiaques qu’avait connus leur grand-père cette année.

Il fallait absolument le ménager.

Adrien rattrapa la main d’Anaïs et la fit pirouetter autour de lui dans une série de figures rapides et compliquées.

Impressionnés, les spectateurs applaudirent.

Des années de cours, de passion et de patience avaient été nécessaires pour arriver à ce résultat, et ils en étaient très fiers. L’un comme l’autre regrettaient d’avoir trop peu d’occasions de danser en dehors de la salle d’entraînement.

Après un passage particulièrement technique, sa cavalière lui adressa un sourire radieux. Avec le rythme endiablé du rock acrobatique, des mèches de cheveux roux et bouclés s’étaient échappées de sa grosse pince et sa jupe d’été tournait follement autour de ses jolies jambes, attirant tous les regards.

Il savait exactement l’image qu’ils renvoyaient quand ils dansaient : celle d’un couple uni, à l’entente parfaite.

La chanson se termina, les laissant essoufflés, contents de leur prestation alors que le DJ lançait un slow romantique, coupant les spots pour créer une ambiance tamisée. Tout le monde s’éparpilla. Certains commencèrent à danser tendrement enlacés, les autres se ruèrent vers le buffet pour se désaltérer.

Anaïs inspira profondément, heureuse que son cœur retrouve une cadence plus normale. Alexandre surgit soudain de l’ombre et attrapa sa main.

— C’est mon tour, annonça-t-il, l’entraînant avec lui.

Elle échangea un regard impuissant avec Adrien. Pas moyen de s’échapper à moins de faire un esclandre. À la lumière des lampions, personne ne remarqua qu’Alexandre se permettait de tenir la petite amie de son frère bien trop collée contre lui.

— Tu me serres trop fort, ronchonna-t-elle, essayant de ménager un espace entre eux.

— Tu ne t’en plaignais pas autrefois, rétorqua-t-il sans plus faire aucun effort pour masquer sa colère.

Cinq ans !

Cinq longues années sans se voir, sans recevoir la moindre nouvelle de lui, et l’explication qu’elle redoutait aurait finalement lieu au milieu d’une piste de danse…

Anaïs avait compris qu’il voulait lui parler depuis qu’elle avait surpris son regard fixé sur elle pendant le repas.

Un regard chargé de reproches.

— De tous les mecs possibles sur cette planète, il a fallu que tu te mettes à la colle avec mon frangin !

— Élégant comme expression ! râla-t-elle, renonçant à lui faire desserrer sa prise. Venant de toi, je ne devrais pas m’attendre à autre chose ! La classe n’a jamais été ta spécialité.

Alexandre se crispa.

Quand, en arrivant, il avait découvert Anaïs, la fille des voisins, son « amie » d’enfance, invitée à la fête, les sentiments qu’il avait toujours éprouvés pour elle étaient remontés d’un seul coup, incontrôlables, intacts malgré les années de séparation.

Sa mère le voyant surpris s’était empressée de lui annoncer la grande nouvelle : Adrien et la jeune femme étaient en couple !

Le choc avait été d’autant plus violent qu’ils vivaient ensemble depuis plus d’un an et que son frère s’était bien gardé de l’en informer les rares fois où ils s’étaient appelés. Cela lui avait retourné l’estomac. Il en était malade à l’idée d’avoir été trahi. Il était jaloux à en crever, surtout après les avoir vus danser, si complices… si amoureux.

Son frère était le seul au monde à savoir qu’il y avait eu quelque chose entre Anaïs et lui. Le seul à qui il avait avoué à quel point il était amoureux de cette fille, à quel point il tenait à elle.

Il était à l’agonie parce qu’il l’avait vu rayonnante, heureuse, et que maintenant elle était tendue entre ses bras, raide, suivant vaguement la musique. Il ne subsistait rien de la danseuse flamboyante qui évoluait avec son frangin quelques minutes auparavant. Son corps souple dont il conservait le souvenir incandescent contre le sien, était rigide et criait le rejet de son contact. Alors que lui, pauvre crétin, sentait sa peau le brûler et l’odeur sucrée d’Anaïs qui le subjuguait.

Il fallait qu’il lui parle, qu’ils arrivent à discuter de certaines choses ou l’avenir serait intolérable.

— La situation est très inconfortable, annonça-t-elle soudain alors qu’il cherchait encore ses mots. Par respect pour Adrien et pour moi, j’aimerais que tu restes discret sur ce qui s’est passé entre nous. Je ne veux pas qu’on pense que je me contente du frère cadet parce qu’Alexandre le play-boy m’a jetée.

— Je… je…, bafouilla-t-il, pris de court comme rarement. Mais… c’est toi qui m’as quitté !

— Ah oui ? Alors, nous n’avons pas les mêmes souvenirs, fit-elle semblant de s’étonner en daignant enfin le regarder dans les yeux. De toute façon, il n’y a pas un seul membre de ta famille qui croira à cette version à commencer par Maryse.

Alex serra les dents. Pour leur mère, Adrien avait toujours été un garçon sérieux avec des principes solides, alors que lui traînait une réputation de coureur de jupons, laissant un sillon de cœurs brisés derrière lui.

— Sans compter ton oncle Gérard, poursuivit impitoyablement Anaïs. Avec sa délicatesse légendaire, il va demander à ton frère pourquoi il se contente de tes restes. Et puis, Sandy, la cousine nymphomane ne manquera pas de m’interroger sur lequel de vous deux est le meilleur au lit !

Alexandre encaissa ces vérités. Malheureusement, elle avait raison. Elle connaissait bien sa famille et depuis longtemps.

En fait, c’est trop tard…

Il n’aurait jamais dû revenir, même pas pour faire plaisir à son grand-père – qui n’était pas vraiment son grand-père d’ailleurs…

Il aurait dû se souvenir que tout était toujours pour Adrien, le chouchou, le préféré, le fils parfait. Lui devait se contenter des miettes, et Anaïs n’était pas une miette.

Il prit une grande inspiration et fit l’une des choses les plus difficiles de sa vie : il la lâcha.

Stupéfaite, Anaïs le sentit reculer avec quelque chose de terrible dans son regard qu’elle n’y avait encore jamais vu : le renoncement.

Alexandre pivota sur ses talons, sans un mot, et disparut dans l’obscurité, la laissant pétrifiée au milieu de la piste de danse.

A suivre

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