Nick & Sara – Rédemption – extrait


Chapitre 1

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— Je suis complètement crevée, s’exclama Nell en se laissant tomber sur l’une des banquettes en velours violet du salon de thé. Mais ça, c’était une virée shopping !

Éclatant de rire, Sara-Jane s’affala en face de sa cousine. Leurs très nombreux paquets multicolores échouèrent autour de la table, lui donnant un petit air de sapin de Noël avant l’heure.

— On n’avait pas fait ça depuis une éternité ! Je ne sens plus mes pieds, gémit-elle en se débarrassant de ses chaussures.

— Il fallait bien fêter de façon grandiose ton premier job.

— Je ne suis encore que stagiaire-assistante.

— Ne fais pas ta modeste : « Sara-Jane Delaney, assistante du procureur fédéral de Philadelphie en charge du crime organisé »… Excuse-moi, mais ça en jette un maximum.

— D’accord, tu as raison, je suis trop contente !

— Tu peux. Tu es leur plus jeune recrue.

Sara-Jane se rembrunit soudain et se redressa, posant ses coudes sur l’épaisse nappe blanche empesée.

— Oui, et je suis aussi la fille d’un sénateur. Depuis quinze jours, j’ai les oreilles qui sifflent : toutes les mauvaises langues sous-entendent que j’ai été embauchée grâce aux relations de mon père.

— Toi, tu sais que c’est grâce à tes résultats universitaires.

— Sans doute… mais je ne peux pas non plus jurer que mon nom n’a pas joué dans la décision du procureur. D’habitude, il ne prend que des personnes expérimentées, pas des jeunes diplômés. De toute façon, je vais être tellement brillante, tellement acharnée et efficace qu’ils en oublieront qui est mon père.

— « Modeste ». C’est bien ce que je disais, la chambra Nell.

— Et toi ? Ton job de rêve, toujours aussi planant ?

— Oh, le jeu de mots pourri ! Tu ne me l’avais pas encore fait, celui-là.

Nell travaillait depuis quelques mois pour une compagnie aérienne spécialisée dans les voyages de luxe : Lux & Calm Airline. Son activité principale consistait à organiser les vacances de clients riches et souvent capricieux. Elle passait la moitié de son temps à l’étranger, en transit entre deux avions.

— Je n’ai pas à me plaindre. C’est fatigant, mais c’est super. J’ai enfin l’occasion d’utiliser toutes les langues que j’ai apprises avec mes beaux-pères.

Elles échangèrent un regard de connivence. Nell ignorait l’identité de son père biologique. Sa mère, la fantasque Susan, avait eu envie d’un bébé, mais pas de s’encombrer du géniteur. Elle aimait le changement. Son métier de journaliste de mode lui avait offert l’opportunité de nombreuses rencontres. Nell avait donc eu une quantité impressionnante de beaux-pères. D’abord un Anglais, puis un Canadien. Ensuite il y avait eu ce Français – un fabricant de soierie avec qui sa mère était restée presque trois ans. Nell l’avait beaucoup aimé et elle était toujours en contact avec lui. Puis il y avait eu un Sud-Africain – qui détestait les enfants –, remplacé par un Australien – un gentil idiot avec de beaux muscles qui l’avait initiée aux plaisirs de l’océan et au surf –, précédant un Indien… Ensuite, l’adolescente avait cessé d’en tenir le compte et de s’attacher à ces hommes de passage. Les deux jeunes femmes se turent le temps que le serveur dépose devant elles les théières ainsi qu’une profusion de gâteaux, de pâtisseries et de gourmandises.

— Non, l’arrêta soudain Sara-Jane. Cette assiette est pour la table, là-bas.

Elle se tourna et adressa un petit signe à James et Arthur. Ses deux gardes du corps avaient l’air de souffrir le martyre. Ils se tassaient sur leur fragile chaise pour essayer de se fondre dans le décor mais sans grand succès. Avec leur allure Men in Black et leur carrure d’anciens militaires, ils juraient dans ce salon de thé qui ressemblait à une bonbonnière.

— Je me fais des idées ou ils sont plus cool qu’avant ? interrogea Nell. Les premiers mois, tu te plaignais qu’ils t’adressaient à peine la parole et qu’ils se méfiaient de toi. Ils me regardaient de travers aussi.

Sara-Jane hésita un instant, puis décida qu’elle pouvait être honnête avec Nell… dans une certaine mesure. Elle se pencha vers elle et baissa la voix.

— Quand papa les a embauchés, James et Arthur avaient entendu des rumeurs ; ils pensaient que l’ancienne équipe avait été virée pour s’être fait semer par une gamine, une emmerdeuse instable, et que j’étais une junkie avec des fréquentations louches.

— Mais c’est faux. Tu as… nous étions…

Nell n’osa pas terminer sa phrase. C’était pour lui faire plaisir, pendant leur séjour au Mexique, que Sara avait échappé à ses gardes du corps. Les conséquences avaient été terribles. Elles avaient été kidnappées par les membres d’un cartel. Nell avait eu la « chance » de souffrir d’une très grave intoxication alimentaire. Ses ravisseurs l’avaient abandonnée dans un ravin où des écoliers l’avaient découverte, déshydratée et presque à l’agonie. Elle savait que Sara-Jane avait vécu des choses horribles, mais sa cousine refusait d’en parler, et Nell en était toujours réduite à échafauder des hypothèses.

— Avec le temps, ils ont fini par comprendre que ce n’étaient que des racontars.

Sara-Jane se tut, et Nell eut soudain l’espoir qu’elle lui en dise enfin un peu plus.

— Et quoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Il y a dix-huit mois, je suis allée à Aspen. Tu te souviens ?

— Bien sûr, la conférence si chiante que tu es revenue deux jours plus tôt que prévu.

— Ce n’est pas pour ça que je suis rentrée… mais c’était chiant quand même. En fait, j’ai reconnu quelqu’un là-bas. Un homme que j’avais vu au Mexique, chez Montoya.

Nell frissonna à la seule évocation du nom du baron de la drogue qui avait orchestré leur kidnapping. Le salaud qui avait voulu faire d’elle une prostituée, l’enquête ayant révélé qu’il la destinait à un bordel de luxe dans les Caraïbes.

— Oncle Dale a envoyé une de ses équipes d’intervention, poursuivit Sara-Jane. James et Arthur ont appris des choses qui leur ont permis de réévaluer leur opinion à mon sujet.

Dale Anderson qui n’était pas un de leurs oncles mais le parrain de Sara-Jane, et accessoirement l’un des boss de la toute-puissante DEA, l’agence fédérale de lutte contre le trafic de drogue. Nell examina attentivement sa cousine, qui avait l’air sereine. Elle hésita, puis décida de tenter sa chance.

— Sara, ça fait trois ans et demi. Tu ne crois pas que tu pourrais m’en dire un peu plus sur ce qui s’est passé au Mexique ? Je m’en veux tellement…

— Arrête !

Sara-Jane se pencha et enlaça les épaules de Nell.

— Tu n’as rien à te reprocher. C’était un piège, et nous étions des gamines. Nous n’avions aucune chance de leur échapper.

— Mais qu’est-ce qui t’est arrivé ? J’ai besoin de savoir, ça me ronge.

Nell vit sa cousine lui faire signe de s’approcher plus près d’elle.

— Ils m’ont enlevée au club, comme toi. Ils m’ont droguée et transportée dans un camion jusqu’à l’hacienda de Montoya.

Sara prit le temps de boire un peu de son thé, geste qui ne rassura pas Nell. Manifestement, sa cousine avait besoin de se donner du courage.

— Montoya m’attendait. Il m’a annoncé qu’il voulait faire de moi la nouvelle perle de son bordel personnel. Plusieurs hommes étaient là. L’un d’entre eux était… en affaires avec lui, on va dire. En paiement de ses services, Montoya m’a offerte à ce type, pour qu’il s’amuse avec mon corps.

Nell retint de justesse un haut-le-cœur, mais lâcha le gâteau qu’elle tripotait inconsciemment depuis un moment.

— Seigneur, marmonna-t-elle, voyant ses pires craintes se concrétiser.

— Je ne me rappelle que très peu de choses, expliqua Sara-Jane avec un calme étonnant et un haussement d’épaules fataliste.

Serrant les dents, Nell essaya d’empêcher ses larmes de déborder. Sa cousine prétendait ne pas se souvenir, mais elle avait quand même suivi deux ans de thérapie. Le mot que Sara ne prononçait pas pesa sur la conscience de la jeune femme.

— Au matin, cet homme m’a fait sortir clandestinement de l’hacienda. En réalité, ce n’était pas un trafiquant mais… une sorte d’agent infiltré. Notre cavale a duré quatre jours, et nous avons laissé un certain nombre de cadavres derrière nous quand les sbires de Montoya ont essayé de nous reprendre.

— Des cadavres ?

— Mon ange-gardien n’était pas… un ange.

Cette fois, Nell eut la certitude que Sara plaisantait : elle souriait en attaquant à belles dents une tartelette à la fraise et ses beaux yeux bleus pétillaient de malice. Cela l’intrigua. À son retour du Mexique, sa cousine était traumatisée. Seul son père, Richard, savait ce qui s’était passé : Sara-Jane avait caché la vérité à sa mère, Anabeth. Décision que Nell avait approuvée. Tante Anabeth aurait enfermé Sara pour la mettre en sécurité si elle avait su ce que sa fille avait été enlevée et…

— Il t’a agressée quand même…

— Je m’en suis remise, l’interrompit Sara.

Son regard d’avertissement disait « le sujet est clos ». Nell le comprit et changea de sujet.

— Je peux te poser une question au sujet d’Aspen ?

— Bien sûr.

— Que s’est-il passé là-bas ? Quand tu es partie, tu n’allais pas bien, tu faisais des cauchemars, tu ne supportais pas que quiconque te touche. Au retour, tu allèges ta thérapie, puis tu l’arrêtes… et j’ai eu l’impression de retrouver la Sara-Jane d’avant.

— Celle que tu appelais la « princesse prout-prout » ?

Cette fois, sa cousine affichait un grand sourire moqueur.

— Je te parle de ma sœur de cœur. Cette fille bien dans ses baskets qui avait disparu après le Mexique. Tu acceptes même que je t’appelle « Sara » alors que, pendant des années, tu as fait la guerre à tout le monde pour qu’on utilise ton prénom entier.

— J’ai… hésita Sara. J’ai suivi les conseils de mon psy. J’ai affronté mes démons et je me suis offert une aventure avec un beau mec.

Nell en resta un moment sans voix, estomaquée.

— Il devait vraiment être exceptionnel pour réussir à vaincre tes névroses.

— Il l’est.

— Pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé ? Et pourquoi ça n’a pas duré, vous deux ?

— Ce n’est pas le genre d’homme qui s’installe durablement. Je le savais dès le début.

— Mais tu as… vous avez quand même…

Sara partit d’un rire amusé.

— Oui, « on a ». L’expérience m’a libérée et m’a permis d’avancer. Assez parlé de moi. Et toi ? Où en es-tu ? Parce que toi non plus, tu n’as pas été très bavarde dernièrement. — Je crois que… je n’ai plus peur. Je suis prête à tomber amoureuse, pas juste pour avoir un mec, mais pour partager quelque chose de fort avec quelqu’un. Je pense que j’ai enfin réussi à me convaincre que je ne suis pas comme ma mère.

A suivre


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