
#1 – Prisonnière des convenances
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CHAPITRE 1
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Gabriel se leva souplement du lit, incapable de rester allongé plus longtemps. Il attrapa sa chemise de lin blanc et l’enfila comme il l’avait quittée : sans la déboutonner. Il la rentra dans son pantalon noir avant de mettre ses bottes.
S’étirant comme un chat et ébouriffant ses cheveux d’un geste énergique, il alla ouvrir la croisée. Il respira profondément, savourant l’air printanier porté par le vent avant d’appuyer son épaule contre le mur pour admirer le lever du soleil sur les toits de Paris. Le spectacle était toujours aussi grandiose, il ne s’en lasserait jamais.
Quand la clarté du jour fut suffisante pour éclairer son logis, il se retourna et prit le temps d’examiner la fille qui dormait paisiblement dans son lit. Elle était jeune et très belle. C’était une magnifique rousse aux yeux verts avec un petit nez retroussé et des myriades de taches de rousseur sur sa peau laiteuse. Il adorait ce mélange explosif.
Il l’avait troussée plusieurs fois cette nuit avec un enthousiasme toujours renouvelé, sans même lui retirer son jupon et ses dessous. Ce comportement n’était pas dans ses habitudes mais, sans doute, la conséquence de longs mois d’abstinence. Lorsqu’il était sur le front, Gabriel se refusait à toucher aux filles suivant son régiment qu’elles soient prostituées, cantinières ou femmes d’officiers esseulées… Ce principe lui avait permis d’éviter les infections, maladies et autres désagréments liés à la vie militaire. Il comptait bien continuer à respecter ses règles d’hygiène quand il était en mission.
Il prit le temps de caresser du regard les courbes graciles, adorables de sa compagne, éclairées par le soleil du matin. S’il avait été peintre, il n’aurait pu s’empêcher de dessiner ce corps alangui au milieu des froufrous de soie, de satin et de dentelle, d’esquisser ses petits seins aux pointes roses qui s’échappaient de leur prison neigeuse dans une innocente provocation, d’user ses pastels à rendre le flamboiement de ses cheveux contre les draps blancs. S’il avait été sculpteur, il aurait magnifié dans le marbre la beauté de l’arc tendre de ses lèvres ; dans l’argile la fragilité de son corps abandonné au sommeil. S’il avait été poète, il aurait écrit une ode, à la gloire de ses longues jambes qu’il devinait sous le fin jupon et dont le sillon sombre menait au triangle fauve, source des plaisirs qu’ils avaient partagés.
Mais il n’était qu’un officier en permission…
Il avait ramassé cette beauté au bal donné la veille par la Durantine, célèbre courtisane chez qui il avait ses entrées. Charmante, enjouée, c’est la jolie demoiselle qui l’avait abordé, le mettant au défi de l’inviter à danser. Elle avait ostensiblement flirté, lui laissant supposer qu’elle exerçait la même activité que leur hôtesse.
Elle avait l’air en bonne santé, avec son teint frais et ses dents intactes. Les quelques questions habiles auxquelles elle avait répondu sans méfiance avaient permis à Gabriel de s’assurer – autant que possible – qu’elle était saine.
Bizarrement, sa jolie flamme l’avait suivi chez lui sans même négocier son prix comme il était d’usage dans sa profession. Elle ne s’était pas étonnée qu’il la conduise dans une mansarde sous les toits, et pas dans un hôtel particulier ou un bel appartement, ce qui aurait été plus conforme à ses galons d’officier de cavalerie.
Elle ne devait pas être très expérimentée sous l’allure provocante d’ingénue en robe de soie blanche qu’elle s’était donnée. D’ailleurs, plusieurs fois au cours de leurs ébats, elle s’était inquiétée de faire « comme il faut » et l’avait vouvoyé. Très surprenant en de tels moments de passion entre des amants occasionnels ayant une relation tarifée…
En fait, plus Gabriel réfléchissait, plus il était convaincu d’être l’un de ses premiers clients. Quand il lui avait ôté sa robe et retroussé ses jupons avant de s’allonger sur elle, elle avait paru surprise. La lumière allumée l’avait gênée. Lorsqu’il avait léché et mordillé la pointe de ses seins, elle avait rougi. Elle avait dû se retenir de recouvrir sa jolie poitrine quand il était passé à des plaisirs plus épicés.
Gabriel se savait bien pourvu, mais cela n’avait jamais posé de problème avec les femmes – au contraire –, mais sa belle avait laissé échapper un gémissement de douleur quand il l’avait prise. Elle n’était plus vierge, mais diablement étroite. Délicieusement, divinement étroite pour lui. Il en avait presque été flatté, comme un premier amant. Il avait aimé s’attarder, pour lui offrir le temps de s’habituer, alors même qu’il brûlait de la pilonner, excité comme jamais par ses petits cris et son parfum de rose.
Il s’était senti merveilleusement bien, calé dans la vallée de ses jambes, entre ses cuisses vêtues de leurs bas de soie blanche et de leurs jarretières roses. Il l’avait embrassée, et elle lui avait rendu ses baisers comme une courtisane n’aurait jamais dû le faire, se donnant sans retenue… et il avait cessé de réfléchir, lâchant la bride à son désir. Et, elle avait joui ! Gabriel était presque certain que sa jolie flamme n’avait pas simulé son plaisir.
Au lieu de la congédier après ce très satisfaisant échange, comme il le faisait toujours, peu désireux que la fille s’incruste, il s’était surpris à avoir encore envie d’elle. Alors qu’elle commençait à se rhabiller, pâle et silencieuse dans la lumière des chandelles, il l’avait attrapée et culbutée au milieu du lit à genoux devant lui, son jupon par-dessus la tête. Il l’avait prise d’une poussée profonde, la faisant crier.
Il avait savouré chacun des gémissements qui avaient accompagné ses coups de reins. Elle avait joui une nouvelle fois, comme une femme heureuse d’être à lui, et elle s’était endormie dans ses bras, confiante comme une amante, alors qu’elle aurait dû être bien plus méfiante pour une courtisane.
Gabriel n’avait pas souhaité la réveiller et la renvoyer. Il avait sommeillé une paire d’heures, la tenant tendrement serrée contre lui, leurs jambes entremêlées, se laissant aller à certains rêves qu’il ne s’était jamais autorisé avec une autre, l’imaginant sienne.
À cet instant, la vision idyllique sous ses yeux ralluma son désir. Il avait de nouveau envie d’elle. Un feu brûlant partit de ses reins et se répandit dans ses veines. Il retira vivement ses bottes et commença à déboutonner son pantalon en se dirigeant vers la couche. Il serait généreux avec elle, très généreux.
A SUIVRE…
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#2 – Miss Scandals
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En juin 1918, le front se déplaça brusquement vers le sud. Damian et ses hommes de l’unité de transmission se retrouvèrent en première ligne, pris en sandwich en compagnie d’un bataillon d’infanterie déjà bien décimé.
Le pilonnage dura trois jours et trois nuits, sans discontinuer. Terrés au fond de leurs bunkers, les soldats ne pouvaient que prier et attendre la fin de cette pluie de feu, espérant que l’ennemi n’utiliserait pas les gaz, et que les renforts arriveraient pour les sortir de là avant qu’il ne soit trop tard.
Damian, assis sur le sol de la casemate qui avait été affectée à sa section, dans le noir – puisqu’il fallait économiser le pétrole des lampes –, glissa une main dans sa vareuse, effleurant avec tendresse le petit sac de velours bleu marine qui contenait son âme et dont il ne se séparait jamais depuis qu’il était au front. C’était son porte-bonheur, son talisman.
Il songea à tout ce qu’il s’était promis de faire de sa vie s’il sortait vivant de cet enfer.
Il commencerait par aller trouver Amelia. Il se jetterait à ses pieds, la supplierait de lui donner une chance.
Pour maintenir son moral à flot, il essayait avant tout de ne pas penser que pendant ces cinq longues années, la jeune femme avait pu rencontrer quelqu’un. Elle était peut-être même mariée à présent…
A SUIVRE…
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#3 – Pour l’amour de Thomas
Emeline prit une grande inspiration. Elle referma les doigts sur la poignée de sa lourde valise et se releva, tenant Thomas serré contre elle. L’enfant était fatigué par leur long voyage. Il passa un bras autour de son cou, et il mit son petit pouce dans sa bouche.
— Courage, on y est presque, murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour lui.
L’autocar les avait laissés au village, et les deux derniers kilomètres pour atteindre la résidence des Vallencourt qu’ils devaient parcourir à pied se révélaient épuisants. Le paysage était agréable, composé de vallons boisés et de prairies, mais la route était un chemin empierré sur lequel elle se tordait les chevilles.
J’aurais dû mettre des chaussures de marche.
Mais elle voulait faire bonne impression devant la comtesse.
Enfin, au détour d’un virage, apparut la haute grille ouvragée du domaine. Celle-ci était ouverte ; la jeune femme vit un groupe d’ouvriers agricoles sortir. Ils la saluèrent au passage, soulevant leurs casquettes avec une courtoisie qui se perdait en ville. Émeline franchit le portail et s’engagea avec appréhension sur la large allée sableuse qui s’enfonçait au cœur de la propriété. Elle dépassa les imposants bâtiments qui constituaient la ferme et où les palefreniers s’activaient à préparer les chevaux de trait. Après un nouveau virage, elle découvrit le château. Nichée dans un écrin de verdure, tout au bout d’une longue allée de chênes, la bâtisse était majestueuse, impressionnante.
C’était un édifice typique des manoirs normands du XIXe siècle, construit en U, sur un étage, avec des rangées de hautes fenêtres. Il était doté d’un fronton frappé aux armes de la famille de Vallencourt. Autour s’étendaient de vastes pelouses et un parc bien entretenu malgré la guerre. Pour trouver le courage d’avancer, Émeline dut étouffer son orgueil. Elle était là pour Thomas, le reste ne comptait pas…
— Excusez-moi, je souhaiterais parler à la comtesse de Vallencourt, demanda-t-elle à une femme replète, à l’allure avenante, qui venait de sortir par la porte des cuisines.
— Z’avez rendez-vous pour d’l’ouvrage ?
— Non, mais j’arrive de très loin, de Lyon. Il faut que je la voie… S’il vous plaît !
Émeline détesta le ton suppliant de sa voix. La femme s’apprêtait à refuser quand son regard s’arrêta sur le petit garçon, qui avait fini par s’endormir pelotonné contre elle, et sa compassion l’emporta.
— V’nez avec moi ! Laissez vot’ valise là. Personne y touchera. Le p’tiot y peut…
— Il reste avec moi, la coupa Émeline un peu trop sèchement.
La jeune maman prit une inspiration tremblante.
— Pardon, s’excusa-t-elle. Je suis fatiguée. Je vous remercie de votre offre, mais mon fils doit aussi rencontrer la comtesse.
La femme lui adressa un gentil sourire et la fit entrer par la cuisine. Elles passèrent ensuite dans le hall dallé de marbre d’où partait un bel escalier à double volute. Émeline entrevit au passage un somptueux salon et une immense salle à manger. Arrivée à l’arrière du château, la femme ouvrit une porte donnant sur une élégante véranda de style anglais, meublée d’un beau salon en rotin et de superbes plantes vertes.
— M’dame la comtesse, y a une p’tite dame qui demande à vous entretenir !
— Merci, Sidonie. Vous pouvez disposer.
Émeline pénétra, presque timidement, dans l’atrium et se retrouva devant une grande femme maigre, aux cheveux blancs, vêtue de noir, qui s’appuyait sur une canne à lourd pommeau d’argent. L’aristocrate la fixait d’un regard inquisiteur. Émeline se sentit pâlir devant ces yeux perçants d’une teinte bleue exceptionnelle, presque violette. Elle en perdit un instant ses moyens, oubliant le discours qu’elle avait si soigneusement préparé. Ressentant sans doute le malaise de sa mère, Thomas choisit ce moment précis pour se réveiller. Il ouvrit ses grands yeux bleus, presque violets. L’enfant redressa la tête et, confiant de nature, retira son pouce de sa bouche pour adresser un sourire à fossettes à la dame qui le regardait, espérant qu’elle lui offrirait peut-être un gâteau.
— Oh, Seigneur ! balbutia la comtesse en devenant blanche comme un linge.
La sévère aristocrate recula, chancela, cherchant de la main un fauteuil, où elle se laissa lourdement tomber sans quitter le petit des yeux. Émeline la vit faire un effort pour se reprendre, ce qui lui permit à elle aussi de se recomposer une attitude.

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