#2 – Pari entre amants – Extrait


Chapitre 1

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Ashley Leister piétinait d’impatience dans le hall principal de l’aéroport Kennedy. L’avion en provenance de San Francisco avait deux heures et quart de retard et les conditions météorologiques étaient épouvantables sur New York. Elle craignait que le trafic aérien ne soit dérouté vers Chicago. Elle s’inquiétait plus encore des difficultés d’un atterrissage sur les pistes balayées par un blizzard violent. Enfin, le panneau lumineux afficha l’information qu’elle se désespérait de voir apparaître : l’appareil venait de se poser. Vingt longues minutes s’écoulèrent avant que son petit ami n’apparaisse au bout du couloir.

Elle sourit, heureuse et amusée. Josh était facile à repérer : avec sa taille élevée, il dominait presque tous les autres passagers d’une tête. Dès qu’il eut passé les portiques de sécurité, Ashley s’élança à sa rencontre avec un cri de joie. Il lâcha son sac et lui ouvrit les bras. L’embrassant à pleine bouche, il fit un tour complet sur lui-même sous le regard attendri ou envieux des voyageurs. Quand il la reposa au sol, ses yeux verts brillaient d’un sentiment qui fit chaud au cœur de la jeune femme.

— Tu m’as tellement manqué ! s’exclama-t-elle.

— Toi aussi.

Il l’embrassa à nouveau, brièvement, avec passion, avant de ramasser son bagage. Ashley savait qu’elle n’obtiendrait pas d’autre déclaration de sa part, mais ces deux mots représentaient déjà beaucoup. Même cet accueil affectueux en public était un progrès majeur par rapport au comportement d’habitude si réservé de Josh. Sa réaction s’expliquait sans doute par ces trois dernières semaines de séparation, alors que leur histoire d’amour n’avait qu’un mois et demi d’existence officielle. Tout en le guidant par la main vers la station de taxis – au pas de course, pour essayer d’être les premiers dans la file –, Ashley songea à tout ce qui lui était arrivé l’été précédent. De la scène sordide qui avait conduit à l’annulation de son mariage, au retour chez ses parents et à ses retrouvailles avec Josh, son ancien copain de lycée.

Il avait tellement changé physiquement qu’elle avait failli ne pas le reconnaître. Quand, le soir même, il l’avait défiée – prétendant qu’il pouvait lui prouver qu’elle n’était pas frigide –, elle s’était étonnée elle-même en acceptant ce pari délirant. Elle ne l’avait pas regretté… Sous son regard, elle s’était sentie belle. Sous ses doigts experts, elle avait découvert le plaisir et le désir. D’un pari d’un soir, leur liaison s’était prolongée sans qu’ils en fixent vraiment les règles… Trompée par le changement spectaculaire de Josh, Ashley n’avait pas compris qu’il était resté le même garçon qu’à l’époque de leur adolescence : introverti à l’extrême, et sans doute légèrement autiste. Il n’exprimait ses émotions qu’au travers de ses mains, de ses gestes, mais presque jamais par des mots, si bien qu’elle n’avait pas réalisé que, là où elle s’imaginait vivre une belle aventure de vacances, lui envisageait quelque chose de beaucoup plus sérieux.

Quand, à la mi-août, lassé d’attendre qu’elle ouvre les yeux, il l’avait quittée, le monde s’était écroulé autour d’Ashley. Elle avait pris conscience de la profondeur de ses sentiments. Elle était amoureuse de lui – et, probablement, depuis très longtemps. Elle ne s’était jamais sentie aussi bien qu’en sa compagnie. Sa force tranquille, son calme apparent qui dissimulait un tempérament passionné et un caractère bien affirmé le rendaient unique. Elle avait dû se battre pour le reconquérir, et c’était la plus belle victoire de son existence.

Une fois à l’intérieur du taxi, Ashley se nicha contre l’homme de sa vie, dans le creux de son épaule. Elle sourit en sentant le baiser qu’il posa sur ses cheveux. Aujourd’hui, elle savait que Josh n’appréciait toujours pas qu’on le touche sans son consentement, il préservait une zone de sécurité autour de lui. Elle était d’autant plus fière qu’il aime son contact et le recherche… Son petit ami était exceptionnellement sensuel. Il n’était pas sculpteur pour rien. Elle adorait plus que tout l’habileté de ses longs doigts experts quand il les promenait sur son corps.

— Comment s’est passé ton vol ?

— Secoué. L’atterrissage a été brutal. On craignait de ne pas arriver jusqu’ici, et de finir la nuit dans une salle d’attente au fin fond du Midwest.

Ashley frissonna, non pas de froid, mais d’inquiétude rétrospective et de plaisir. Elle adorait les modulations de sa belle voix grave, quand il chuchotait ainsi à son oreille.

— D’après les informations que j’ai eues, vous avez bien failli être déroutés vers Chicago.

— Ça n’aurait pas été cool. Je ne suis là que pour trois jours.

Il posa sa bouche chaude sur la toute petite parcelle de peau d’Ashley accessible entre sa grosse écharpe en laine et ses cheveux, créant d’autres frissons.

Oui, songea-t-elle avec un pincement au cœur. Trois tout petits jours, pour Thanksgiving.

Ensuite, elle devrait attendre jusqu’à Noël pour le revoir.

— Je déteste que tu vives si loin de moi.

Un instant, elle crut qu’il allait répondre : « moi aussi », mais elle dut se contenter de sentir son bras se resserrer autour d’elle et la pointe de sa langue effleurer sa peau, sans un mot. La singularité de Josh lui permettait de couper toute communication avec le monde extérieur et de ne vivre qu’en lui-même. Durant l’été, Ashley avait découvert que, pour dissimuler cette distance psychologique qui existait entre lui et les autres, il avait développé un vrai talent d’acteur. Elle s’en voulait encore de s’y être laissée prendre. En effet, il parvenait à s’adapter à ses interlocuteurs, à leur donner l’impression qu’il participait aux interactions sociales, alors qu’en réalité il se plaçait dans la position d’un spectateur souvent indifférent, parfois même cynique. Seules quelques personnes pouvaient accéder au véritable Josh, celui qui se protégeait derrière des murailles.

Lorsque le taxi les déposa au pied de son immeuble, le blizzard soufflait par rafales, s’engouffrant violemment entre les buildings, dans les grandes avenues rectilignes. Le grésil glacial les fouetta si fort qu’ils durent courir pour se mettre à l’abri dans le hall. Gary, le vieux concierge, les salua de derrière son comptoir quand ils franchirent le seuil.

— Alors, ça y est ! Votre amoureux est revenu, mademoiselle Leister. Ça a dû secouer là-haut, pas vrai, jeune homme ?

— Je ne vous le fais pas dire. C’était sportif ! répondit Josh avec un sourire et une cordialité étonnante – peut-être factice.

L’ascenseur les déposa au huitième et dernier étage. Josh fut le premier à sortir ses clés de la poche de son blouson. Ashley lui avait offert un trousseau pour son anniversaire, et, quand il venait la voir, il aimait s’en servir. Une fois de plus, la jeune femme se fit la remarque que son appartement, pourtant spacieux, paraissait rétrécir. La présence de son compagnon avait tendance à envahir l’espace et à faire converger toute forme d’énergie vers lui.

A suivre




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